Ecoute commentée de Maurice Zundel

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« Ecoute commentée des homélies ou conférences du Père Zundel. Par le père Paul Debains.

Découvrir Maurice Zundel –  Le vrai Dieu d’humilité.

Nous vous présentons une écoute commentée et méditative de Maurice Zundel. Cet enseignement préparé par le père Paul Debains (*) porte sur une conférence de Maurice Zundel au Cénacle de Paris en 1964. Le titre qui lui fut donné est « Le vrai Dieu d’humilité ».

 

Le père Paul Debains souligne par touches légères les propos de Maurice Zundel, et quelques pauses musicales agrémentent l’enregistrement en laissant le temps aux paroles de faire leur chemin en nous-mêmes. Vous trouverez ci-dessous tous les extraits de la conférence de Maurice Zundel, tels que le père Debains a souhaité nous les offrir, mais surtout prenez le temps de l’écoute, vous découvrirez ainsi également ses commentaires. Les titres sont ajoutés.

Enregistrement audio ; en déplaçant le curseur vous pouvez repositionner l’écoute selon les repères de temps indiqués ci-dessous.

La révolution apportée par Jésus-Christ encore si mal comprise

La plupart des chrétiens ne comprennent pas cette égalité dans l’amour… Ce qui importe c’est ce don de la personne à la personne, le seul bien c’est cela. Le bien, c’est le don que nous sommes. Le mal, c’est le refus que nous devenons.

1er extrait de la conférence de Maurice Zundel

Le message de Jésus-Christ qui était si parfaitement conscient d’apporter au monde quelque chose de nouveau, ce message de Jésus-Christ n’est pas encore parvenu aux chrétiens. Pour l’immense majorité les chrétiens ne sont pas chrétiens. Je veux dire, enfin, malgré toute leur bonne volonté, toutes leurs intentions, toutes leurs vertus, tout, tout leur dévouement, ils n’ont pas encore compris à quel point Jésus-Christ constitue une révolution.

La plupart en sont restés à un Dieu pharaonique, à un Dieu à l’égard duquel ils se sentent une dépendance, dont ils se veulent les sujets, dont ils redoutent le jugement, à la loi duquel ils se soumettent. L’immense majorité des chrétiens ne sont pas des mystiques, ils ne sont pas entrés dans une union nuptiale avec Dieu, ils n’ont pas compris ce mot de saint Paul aux Corinthiens : « Je vous ai fiancés à un époux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. »

La plupart des chrétiens ne comprennent pas cette égalité dans l’amour, ils sont encore tributaires d’une conception juridique : ils songent à ce que ils ont à donner à Dieu et ce qu’ils peuvent garder pour eux-mêmes. Ils ne voient pas que ce qui importe essentiellement, et uniquement, c’est ce don de la personne à la personne, que le seul bien c’est cela. Le bien, c’est le don que nous sommes. Le mal, c’est le refus que nous devenons.

Saint Paul l’a dit magnifiquement dans le chapitre 13 de la Première aux Corinthiens : « Il ne s’agit pas de parler la langue des anges et des hommes, il ne s’agit pas d’avoir la foi jusqu’à transporter les montagnes, de livrer son corps aux flammes ou de donner tous ses biens aux pauvres. » Il s’agit d’aimer, d’aimer, d’entrer dans ce rapport gratuit, dans ce cœur à cœur où l’on s’échange et où toute contrainte est impensable et impossible, où la racine de l’acte est, précisément, le suprême accomplissement de la liberté. L’immense majorité des chrétiens n’ont pas compris. Ils voient en Dieu un pouvoir dont ils dépendent, un pouvoir qui les domine ou qui les menace, qui éventuellement pourra les sauver, mais non pas un amour qui les sollicite, sans s’imposer jamais, un amour qui s’offre toujours, mais qui ne s’impose jamais.

Et pourtant, c’est là l’essence de l’Évangile et nous pouvons résumer tout cet Évangile dans l’expérience unique et incomparable qui s’accomplit en Jésus-Christ. Car Jésus-Christ c’est l’expérience mystique au suprême degré. Jésus-Christ n’est pas un philosophe. Jésus-Christ ne nous apporte pas un système du monde. Jésus-Christ ne déchaîne pas en nous un mouvement spéculatif.

On peut être disciple de Platon et ajouter à Platon, on peut poursuivre son travail, on peut le reviser, on peut, éventuellement, le réfuter comme il se doit à certaines phases du développement de sa pensée. Jésus-Christ ne se présente aucunement comme un penseur qui réponde à des questions spéculatives. Jésus-Christ est un témoignage : Jésus-Christ témoigne de ce qu’il dit, il témoigne de ce qu’il est et il nous communique cette expérience qu’il est, afin qu’elle devienne la nôtre.

Or, quel est le centre de l’expérience chrétienne en Jésus-Christ ? Il est évident que le centre de l’expérience chrétienne en Jésus-Christ, si la Trinité, la Trinité qui introduit dans notre connaissance de Dieu, une dimension absolument insoupçonnée….

Pause musicale et intervention de Paul Debains

Pourquoi tant d’êtres se donnent pour athées ?

Si vraiment Dieu est le cœur de notre vie intérieure…, si vraiment il est impossible d’atteindre à soi sans joindre Dieu, comment se fait-il que tant d’hommes… voient en Dieu le grand ennemi, l’obstacle essentiel à la civilisation et à la liberté ?

2ème extrait de la conférence [repère audio : 9’ 35’’]

Si vraiment Dieu est le cœur de notre vie intérieure, si nous n’atteignons à nous-même qu’à travers lui, s’il est impossible de nous trouver sans le rencontrer, si c’est au fond la même chose de nous rencontrer et de le rencontrer comme en fait foi l’expérience de saint Augustin qui est parfaitement conscient qu’il n’a atteint à lui-même que en découvrant Dieu au plus intime de lui-même – ce Dieu qu’il appelle la beauté toujours ancienne et toujours nouvelle -, comment se fait-il que tant d’êtres se donnent pour athées et non seulement tant d’êtres, mais que, il y ait aujourd’hui des états communistes ? Chose unique dans l’histoire : jamais cela ne s’est produit que des états, officiellement, se donnent pour athées.

Si vraiment il est impossible d’atteindre à soi sans joindre Dieu, comment se fait-il que tant d’hommes soient étrangers à Dieu, se posent en adversaires de Dieu, voient en Dieu le grand ennemi, l’obstacle essentiel à la civilisation et à la liberté ? Comment Sartre a-t-il pu écrire, en toute sincérité, je n’en doute pas : « Si Dieu existe, l’homme est néant » ? C’est que évidemment les mots ont une histoire et le mot Dieu en particulier a une très vieille histoire qui l’entoure d’un contexte extrêmement dangereux.

C’est un mot qui a beaucoup servi, qui a souvent très mal servi, d’ailleurs, à des fins qui n’avaient absolument rien de spirituel. C’est un mot qui a été déprécié par l’usage qu’on en a fait, comme d’ailleurs le serait, comme l’est si souvent l’amour, lorsqu’on parle d’amour.

Dieu est aussi profané que l’est l’amour dont il est si souvent question dans une littérature absolument étrangère à toute expérience authentique de l’amour.

Pause musicale

La présence authentique de la valeur absolue

Quand on ne pouvait plus rien, on disait Dieu. Quand on ne savait plus, on disait Dieu. C’était un bouche-trou qui ne répondait à rien… Une notion condamnée à disparaître à mesure que l’homme devient maître de son champ.

3ème extrait de la conférence [repère audio : 12’ 55’’]

Pour le mot Dieu, pour la conception de Dieu, il est évident que les voies de l’histoire ici étaient inévitables, inévitables : l’humanité ne pouvait pas prendre possession, d’un seul coup, de toutes ces richesses. Puisque elle en est, ou on en est aujourd’hui.

Si la plupart des ressources de l’humanité sont dépensées dans la préparation de la guerre atomique, cela veut dire à quel degré de barbarie nous sommes encore. On ne saurait donc s’étonner que l’humanité ait une peine extrême à dégager la notion de Dieu d’une gangue qui nous paraît intolérable, mais qui devait nécessairement résulter d’une expérience en cours, d’une expérience où le devenir suppose des étapes qu’il est impossible de brûler.

L’humanité a cherché d’abord en Dieu, nous avons vu, une protection contre elle-même et elle en a fait très souvent, au cours de l’histoire, le bouche-trou de toutes ses impuissances et de toutes ses ignorances : quand on ne pouvait plus rien, on disait Dieu. Quand on ne savait plus, on disait Dieu. C’était un bouche-trou qui ne répondait à rien. Je veux dire que – qui ne supposait aucune autre expérience, sinon celle de l’ignorance et de l’impuissance.

Sous ce chef, évidemment, on peut arguer, on peut argumenter et voir en effet dans la notion de Dieu – et je n’hésite pas à le faire – une notion condamnée à disparaître à mesure que l’homme devient maître de son champ, qu’il arrive à conquérir toutes les techniques et qu’il atteint une espèce de toute-puissance, car ce n’est pas dans cet ordre que s’effectue l’expérience de Dieu, telle que nous l’avons sommairement parcourue tout à l’heure.

L’expérience de Dieu est autrement profonde, et elle concerne précisément l’avènement en nous de la personnalité, l’avènement en nous de la liberté, puisque nous l’avons dit, le critère essentiel de la Présence divine, c’est l’intériorité, l’intériorité et la libération. On reconnaît toujours la présence authentique de la valeur absolue, on la reconnaît toujours à ceci que on devient intérieur à soi et que on se sent libéré de soi.

Pause musicale et intervention de Paul Debains

À un certain niveau de l’homme correspond un certain niveau de la divinité

Les hommes sont encore très largement une espèce humaine et non pas une humanité de qualité… où la personnalité serait développée chez la plupart au point qu’ils puissent immédiatement communier, communier dans l’universel.

4ème extrait de la conférence [repère audio : 18’ 16’’] (Avec la reprise dernière phrase de l’extrait précédent)

On reconnaît toujours la présence authentique de la valeur absolue, on la reconnaît toujours à ceci que on devient intérieur à soi et que on se sent libéré de soi.

Mais, jusqu’à ce que on en arrive à cette expérience personnifiante, personnalisante et libératrice, il y a naturellement un long chemin. Et comme l’humanité a d’abord été agglutinée en groupes, que elle a pensé collectivement que le, c’est sur le tard que la personnalité s’est fait jour, et encore très, très lentement.

Enfin, nous sommes circonvenus, circonvenus par les limites de notre état, par les limites de notre continent, par les limites de notre langue, par les limites de notre programme scolaire. Et nous sommes très largement étrangers les uns aux autres, et il suffit de faire un voyage en avion – avec la rapidité des avions d’aujourd’hui – pour se rendre compte combien l’humanité demeure cloisonnée et comment, quelques heures de voyage simplement vous précipite dans une autre civilisation, qui n’a aucun contact avec la nôtre.

Car les hommes sont restés très loin de l’humanité. Les hommes sont encore très largement une espèce humaine et non pas une humanité de qualité où la personnalité serait commune, où, je veux dire, où la personnalité serait développée chez la plupart au point qu’ils puissent immédiatement communier, communier dans l’universel. Il s’en faut de beaucoup !

Alors on ne peut pas s’étonner que la notion de Dieu ait subi la lente progression de la notion de l’homme. Au fond, c’est la même chose : de même que la rencontre de Dieu et la rencontre de l’homme, c’est un seul et même moment, une seule et même expérience. La notion de l’homme et la notion de Dieu sont au même niveau. Quand l’homme ne pouvait se connaître, quand il était essentiellement grégaire, quand il était fondu avec le groupe comme il l’est encore si souvent, il n’avait pas la possibilité de se donner ou d’acquérir une conception de Dieu supérieure à celle qui s’appliquait à lui.

Il ne faut donc pas s’étonner que, à un certain niveau de l’homme, corresponde un certain niveau de la divinité.

Il est naturel que l’homme non libéré se donne un dieu maître. Il est naturel que on soumette à un dieu pharaonique, une humanité qui est encore esclave. Et cela durera longtemps et c’est justement ce qui fait toute la difficulté, finalement.

Si, il y a des athées, c’est que, ils voient dans la notion de Dieu un héritage d’Ancien Régime qui prétend soumettre l’humanité à un maître, à un maître qui tire, qui tire les fils de l’histoire et auquel nous avons des comptes à rendre.

Intervention de Paul Debains

L’expérience augustinienne

Le Dieu de l’expérience mystique est un Dieu qui n’a aucunement un visage de maître, il a uniquement le visage de notre liberté, comme il est l’espace où elle se répand, comme il est la caution inviolable de notre dignité.

5ème extrait de la conférence [repère audio : 24’ 16’’]

II est de toute évidence que l’expérience augustinienne, l’expérience exprimée dans le magnifique verset que nous récitions tout à l’heure : « Trop tard je t’ai aimée, beauté toujours ancienne et toujours nouvelle, trop tard je t’ai aimée et pourtant tu étais dedans, et moi j’étais dehors et, sans beauté, je me ruais vers ces beautés que tu as faites. Tu étais toujours avec moi, mais moi je n’étais pas avec toi. » Il est évident que ce témoignage augustinien n’a aucune espèce de référence à une dépendance, à une maîtrise, à une domination de la divinité puisqu’au contraire, il témoigne que seule la présence de Dieu nous établit au cœur de notre intimité et la rend inviolable en en étant la caution. Le Dieu de l’expérience mystique étant un Dieu qui n’a aucunement un visage de maître, il a uniquement le visage de notre liberté, comme il est l’espace où elle se répand, comme il est la caution inviolable de notre dignité.

Il est évident que ce Dieu-là, inconnu de la plupart des gens, ce Dieu-là ne ferait pas difficulté. Ce qui constitue l’obstacle, c’est ce Dieu, ce Dieu de la tribu, ce Dieu qui a une figure de monarque suprême, ce Dieu qui tire les fils de l’histoire, ce Dieu dont nous sommes les sujets, ce Dieu devant lequel nous avons à nous anéantir, ce Dieu qui veut être notre juge. Et tous ces attributs, finalement, ne sont que des projections, des projections, des dépendances qui règnent dans la cité humaine.

A mesure que la Cité devient plus complexe, à mesure que la civilisation matérielle et intellectuelle se développe, le pouvoir gagne en extension, en profondeur, en majesté. Et les grandes civilisations se sont constituées autour de puissantes monarchies où le monarque faisait plus ou moins figure de dieu et où le peuple était simplement le repoussoir de sa majesté et devait naturellement illustrer, par sa dépendance, l’étendue du pouvoir souverain.

Quand vous êtes à Karnak devant les monuments égyptiens où vous retrouvez à chaque instant la scène de l’instauration monarchique ou de l’intronisation pharaonique plus exactement, cette scène qui est multipliée à des centaines d’exemplaires, vous avez très nettement l’impression que il s’agit là en effet d’une initiative, ou d’une initiation divine et que le pharaon, conçu comme une divinité, ne peut que régner sur la poussière de ses sujets en affirmant sa toute-puissance ; et le protocole d’ailleurs dans lequel on s’adresse à lui, agenouillent en effet, dans la poussière ses sujets qui ne sont rien devant lui.

C’est à l’instar, finalement, de ces monarchies que l’on a dessiné le visage de Dieu dont on a fait un monarque suprême entouré d’une cour qui ne cesse de le louer, comme il revendique d’ailleurs de ses sujets terrestres le tribut de l’adoration, de la louange et de la prière.

Toute cette figuration qui s’est concrétisée dans les livres de l’Ancien Testament, dans l’histoire d’un peuple qui a considéré Dieu comme son souverain, qui l’a quelque peu monopolisé d’ailleurs à cet effet en se croyant le peuple élu, toutes ces représentations sont venues jusqu’à nous. Elles ont passé dans le christianisme et nous n’en sommes pas encore dégagés. Et il est de toute évidence que de telles conceptions s’accommodent très mal de l’expérience mystique, s’inscrivent très difficilement dans l’expérience mystique qui est elle-même une expérience essentiellement libératrice.

La hauteur à laquelle l’homme situe Dieu correspond exactement à la hauteur à laquelle il atteint lui-même.

Mais ceci, qui explique que toutes les répugnances que peuvent avoir des hommes qui croient que ils sont encore liés à cette conception de Dieu, ces figurations ne peuvent pas gêner une réflexion qui nous vient spontanément, à savoir que la hauteur à laquelle l’homme situe Dieu correspond exactement à la hauteur à laquelle il atteint lui-même.

Nous ne pouvons pas nous étonner que l’humanité en marche se soit donné de Dieu une représentation inadéquate.

Pause musicale

L’homme ne peut pas connaître plus haut qu’il n’est, et au niveau de son propre esprit

Tout ce qui ne cadre pas avec l’expérience mystique n’est pas de Dieu ;… tout ce qui heurte et blesse en nous l’expérience libératrice n’est pas de Dieu.

6ème extrait de la conférence [repère audio : 31’ 43’’]

Et nous pouvons dire a priori que tout ce qui ne cadre pas avec l’expérience mystique n’est pas de Dieu, non pas par besoin de dominer le détail de ces conceptions, mais nous pouvons le dire avec une certitude absolue : tout ce qui heurte et blesse en nous l’expérience libératrice n’est pas de Dieu. Même si ça se trouve dans les livres sacrés, inspirés, révélés tant que vous voudrez parce que il peut y avoir – et il y a inévitablement – dans une révélation historique, c’est-à-dire qui s’adresse à des hommes et qui les saisit à l’étape où ils sont, il y a nécessairement une adaptation qui n’implique aucunement que les limites de l’homme sont les limites de Dieu, qui implique simplement que l’homme ne peut pas connaître plus haut qu’il n’est, que l’homme connaît autant qu’il est et que il situe toujours sa découverte au niveau de son propre esprit. Et tant que l’homme n’avait pas dépassé ses limites, il entraînait nécessairement Dieu dans ses propres frontières.

Donner à Dieu le visage qui est le nôtre, quand ce visage est d’ailleurs tout imparfait, c’est introduire une erreur radicale dans la présentation de Dieu.

Il est donc parfaitement clair que donner à Dieu le visage qui est le nôtre, quand ce visage est d’ailleurs tout imparfait, c’est introduire une erreur radicale dans la présentation de Dieu et il faut bien dire que les survivances très abondantes de l’Ancien Testament dans la religion d’aujourd’hui constituent une objection dont nous comprenons que – pour ceux qui voient tout cela du dehors –, dont nous comprenons qu’elles soient insurmontables.

Il y aurait une immense purification à faire de tout le vocabulaire religieux à partir de l’expérience mystique et en tenant compte, bien entendu, de l’immense distance qui sépare les conceptions d’aujourd’hui des conceptions d’il y a, je ne dis pas deux mille ou cinq mille ans, mais il y a seulement cent ans.

Pause musicale et intervention de Paul Debains

Les bouleversements du 20ème siècle

Toute expérience est une expérience humaine. Tout ce que nous pouvons savoir est une expérience humaine. Rien ne nous est connaissable qui ne devienne une expérience humaine.

7ème extrait de la conférence [repère audio : 38’ 00’’]

<>On peut dire que le tournant le plus impressionnant de l’histoire, c’est l’an 1900 ou à peu près, là où commencent à se faire jour les conceptions quantiques qui aboutiront bientôt aux grandes découvertes d’Einstein de la relativité. Et qui s’étendront de plus en plus jusque aux grandes aventures dont nous sommes témoins aujourd’hui, dans ce départ que l’homme prend de notre planète vers les espaces encore inconnus. Enfin cet envol cosmonautique nous apparaît comme une chose prodigieuse dont il aurait été impossible d’envisager la possibilité, il y a seulement une centaine d’années.

Eh bien, il est évident que parler le langage du premier siècle ou parler le langage antérieur à Jésus-Christ aux hommes d’aujourd’hui, c’est se condamner immédiatement à n’être pas compris et c’est courir immédiatement ou faire courir à Dieu le péril d’apparaître comme un mythe à reléguer au musée des antiquités.

Nous pouvons, en tous cas, et nous devons garder – puisque il n’y a d’autre ressource que l’expérience humaine. Toute expérience est une expérience humaine. Tout ce que nous pouvons savoir est une expérience humaine. Rien ne nous est connaissable qui ne devienne une expérience humaine. Nous avons évidemment le devoir de prendre l’expérience humaine à son sommet, et puisque l’expérience mystique est une expérience essentiellement libératrice, nous pouvons et nous devons interpréter toute la Révélation en soustrayant les limites de l’homme de l’unique révélation. Qui est quoi ? Qui est, évidemment, et qui est uniquement la lumière d’une Présence.

La Révélation, c’est la lumière d’une Présence qui se fait jour peu à peu, qui envahit tout le champ de la conscience, qui sacralise l’existence, qui introduit l’homme au cœur de son intimité et qui scelle sa dignité dans une valeur inviolable.

Au fond, la Révélation ne porte pas sur autre chose. La Révélation, c’est la lumière d’une Présence qui se fait jour peu à peu, qui envahit tout le champ de la conscience, qui sacralise l’existence, qui introduit l’homme au cœur de son intimité et qui scelle sa dignité dans une valeur inviolable qui nous agenouille, finalement, qui nous agenouille devant un petit enfant parce qu’en lui déjà il y a la manifestation, la révélation, la communication au moins possible d’une valeur infinie.

C’est la lumière d’une Présence finalement, et c’est cela, c’est cela, c’est cela la vérité, la vérité informulable, la vérité inexprimable, la vérité qui ne comporte pas de limite, la vérité qui nous interdit au contraire de nous limiter, c’est la lumière d’une Présence.

C’est une lumière qui se dégage lentement à travers les aventures de l’histoire. Cette lumière qui, même chez les plus grands prophètes ne peut pas s’éclater dans sa plénitude parce qu’ils sont encore des hommes limités.

Mais, on comprend que tant d’hommes repoussent ces images qui ne se sont pas décantées, qui correspondent à une expérience dépassée, qui pouvait être vraie à l’époque dans ce sens que elle était un mouvement, un mouvement vers un terme encore inaccessible, mais vers lequel on tendait, mais que nous n’avons plus le droit de retenir aujourd’hui.

C’est pourquoi il est essentiel, lorsque on lit la Bible de l’Ancien Testament, de ne pas oublier le Nouveau et de lire l’Ancien à travers le Nouveau et non pas le contraire. Car il est évident que, si le christianisme apporte au monde une nouveauté essentielle, c’est à partir de cette nouveauté qu’il faut considérer le chemin parcouru pour voir les progrès accomplis et la nécessité que l’on avait précisément de ce message nouveau en Jésus-Christ.

Pause musicale

Jésus-Christ c’est l’expérience mystique au suprême degré

8ème extrait de la conférence (reprise du 1er extrait et prolongement) [repère audio : 43’ 52’’]

Ce message de Jésus-Christ n’est pas encore parvenu aux chrétiens. Pour l’immense majorité les chrétiens ne sont pas chrétiens. Je veux dire, par bonne volonté, toutes leurs intentions, toutes leurs vertus, tout, tout leur dévouement, ils n’ont pas encore compris à quel point Jésus-Christ constitue une révolution.

La plupart en sont restés à un Dieu pharaonique, à un Dieu à l’égard duquel ils se sentent une dépendance, dont ils se veulent les sujets, dont ils redoutent le jugement, à la loi duquel ils se soumettent. L’immense majorité des chrétiens ne sont pas des mystiques, ils ne sont pas entrés dans une union nuptiale avec Dieu, ils n’ont pas compris ce mot de saint Paul aux Corinthiens : « Je vous ai fiancés à un époux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure. »

La plupart des chrétiens ne comprennent pas cette égalité dans l’amour, ils sont encore tributaires d’une conception juridique : ils songent à ce que ils ont à donner à Dieu et ce qu’ils peuvent garder pour eux-mêmes. Ils ne voient pas que ce qui importe essentiellement, et uniquement, c’est ce don de la personne à la personne, que le seul bien c’est cela, Le bien, c’est le don que nous sommes. Le mal, c’est le refus que nous devenons.

Saint Paul l’a dit magnifiquement dans le chapitre 13 de la Première aux Corinthiens : « Il ne s’agit pas de parler la langue des anges et des hommes, il ne s’agit pas d’avoir la foi jusqu’à transporter les montagnes, de livrer son corps aux flammes ou de donner tous ses biens aux pauvres. » Il s’agit d’aimer, d’aimer, d’entrer dans ce rapport gratuit, dans ce cœur à cœur où l’on s’échange et où toute contrainte est impensable et impossible, où la racine de l’acte est, précisément, le suprême accomplissement de la liberté. L’immense majorité des chrétiens n’ont pas compris. Ils voient en Dieu un pouvoir dont ils dépendent, un pouvoir qui les domine ou qui les menace, qui éventuellement pourra les sauver, mais non pas un amour qui les sollicite, sans s’imposer jamais, un amour qui s’offre toujours, mais qui ne s’impose jamais.

Jésus-Christ n’est pas un philosophe. Jésus-Christ ne nous apporte pas un système du monde. Jésus-Christ ne déchaîne pas en nous un mouvement spéculatif. Jésus-Christ c’est l’expérience mystique au suprême degré… Jésus-Christ est un témoignage.

Et pourtant, c’est là l’essence de l’Évangile et nous pouvons résumer tout cet Évangile dans l’expérience unique et incomparable qui s’accomplit en Jésus-Christ. Car Jésus-Christ c’est l’expérience mystique au suprême degré. Jésus-Christ n’est pas un philosophe. Jésus-Christ ne nous apporte pas un système du monde. Jésus-Christ ne déchaîne pas en nous un mouvement spéculatif.

On peut être disciple de Platon et ajouter à Platon, on peut poursuivre son travail, on peut le réviser, on peut, éventuellement, le réfuter comme il se doit à certaines phases du développement de sa pensée. Jésus-Christ ne se présente aucunement comme un penseur qui réponde à des questions spéculatives. Jésus-Christ est un témoignage : Jésus-Christ témoigne de ce qu’il dit, il témoigne de ce qu’il est et il nous communique cette expérience qu’il est, afin qu’elle devienne la nôtre.

Or, quel est le centre de l’expérience chrétienne en Jésus-Christ ? Il est évident que le centre de l’expérience chrétienne en Jésus-Christ, si la Trinité, la Trinité qui introduit dans notre connaissance de Dieu, une dimension absolument insoupçonnée, car il ne faut pas mettre sur le même plan un monothéisme unitaire, c’est-à-dire un monothéisme qui envisage Dieu comme une puissance solitaire, et un monothéisme trinitaire, qui envisage Dieu comme unique, assurément, mais non pas comme solitaire.

Pause musicale

La révolte légitime contre un pharaon, un despote qui nous tiendrait dans sa main

Pour nous, il n’y a de vertu que dans l’anti-narcissisme, que dans le dépouillement, que dans le don de soi, que dans l’amour… [La trinité] nous assure qu’en Dieu, il y a une circulation d’amour, qu’en Dieu il y a une impossibilité de rien posséder.

9ème extrait de la conférence [repère audio : 49’47’’]

Remarquez que, il y a là une distinction capitale.

Le monothéisme, finalement, n’a de sens que si il est trinitaire.

Je m’explique, il est de toute évidence que un Dieu qui se révèle à la conscience – comme dans l’expérience augustinienne, comme dans toute expérience mystique – qui se révèle à la conscience comme une générosité, comme un amour qui suscite le nôtre, comme une Présence qui ne s’impose jamais : « Tu étais avec moi, c’est moi qui n’étais pas avec toi, Tu étais dedans, c’est moi qui étais dehors ». Il est évident que cette rencontre nous oriente, immédiatement, vers un Dieu-Charité, vers un Dieu dont la perfection est l’amour.

Mais immédiatement naît la question : comment Dieu peut-il être l’amour s’il est unique et solitaire ? Un être solitaire, il ne peut que se réfléchir, se réfléchir sur soi, se replier sur soi, s’enivrer de soi, se complaire en soi comme nous le faisons si souvent dans le dialogue auquel nous nous abandonnons, lorsque la vie extérieure ne requiert pas toutes nos énergies.

Qu’est-ce que notre vie personnelle – du moins ce que nous croyons être notre vie personnelle – sinon une sorte de narcissisme dans lequel nous ne cessons de revenir à nous-même en dialoguant faussement avec nous-même pour nous justifier à nos propres idées ? Comment concevoir que la vie divine soit ce narcissisme à une échelle infinie sans éprouver de dégoût ? Comment imaginer un être qui se repaît de lui-même et dont nous dépendons essentiellement, un être qui ne vit qu’en lui-même, qui n’a besoin de personne puisque il est censé être la source de tout ? Comment imaginer cet être existant pour soi dont nous dépendons essentiellement, qui laisse tomber quelques miettes de sa table sur nous et qui nous attend au tournant, d’ailleurs, de notre itinéraire lorsque sonnera l’heure de notre mort ? Comment n’être pas en révolte contre cette espèce de pharaon, de despote qui nous tient dans sa main, qui n’a aucunement besoin de nous et duquel nous tenons tout ; et qui d’ailleurs, tient sa perfection du hasard ?

Il est Dieu sans l’avoir choisi. Il est Dieu comme ça, éternellement. Il est Dieu sans qualité propre et il se trouve que l’amour qu’il a de lui-même est en contradiction avec toutes les impulsions des vertus humaines, puisque pour nous, il n’y a de vertu que dans l’anti-narcissisme, que dans le dépouillement, que dans le don de soi, que dans l’amour.

On comprend le scandale ! Ce scandale des hommes devant ce Dieu-là ! On comprend la révolte ! On comprend le mot de Nietzsche : « S’il y avait des dieux, comment supporterais-je de n’être pas Dieu ? Pourquoi lui plutôt que moi. » On comprend la petite fille qui attendait son tour d’être Dieu, ne pouvant concevoir que ce soit toujours le même qui jouisse de pareils privilèges, de la toute-puissance, d’une volonté à laquelle rien ne résiste, d’un bonheur intouchable et invulnérable. Elle pensait que il fallait que cela circule et que chacun ait son tour d’être Dieu.

Il est évident que cette idole, cette idole est intolérable et que rien ne nous importait davantage que d’être introduits dans ce pluralisme relatif qui nous assure qu’en Dieu, il y a une circulation d’amour, qu’en Dieu il y a une impossibilité de rien posséder.

Intervention de Paul Debains

Pause musicale, fin de l’enregistrement


(*) Le père Paul Debains (1926-2011) est à l’origine de ce site internet. Prêtre, jésuite, il passa de nombreuses années en Afrique, notamment au Cameroun. Après son retour en France et avec le Père Bernard de Boissière, il a travaillé sur les nombreux enregistrements d’homélies et de conférences du Père Maurice Zundel.

Paul Debains a publié différents ouvrages sur Maurice Zundel : Un autre regard sur l’homme ; Le problème que nous sommes : La Trinité dans notre vie ; Un autre regard sur l’eucharistie ; Pour toi, Qui suis-je ? Aux Éditions du Jubilé – Le Sarment