19-25/11/2017 – Conférence – Jésus, véritable sens des Écritures

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19/11/2017 novembre 2017

Dernières parutions, classées par date de publication: 17/05/2010

Conférence de Maurice Zundel donnée à Ghazir au Liban en 1959. Publié dans « Je parlerai à ton cœur » (*) Les titres sont ajoutés.

Résumé : Il ne faut pas réduire l’Ancien Testament à un message de terreur. Il s’agit d’une pédagogie de Dieu pour des Hébreux qui ne croyaient pas à la vie éternelle. Le Jugement se fera sur l’amour, c’est lui qui vous jugera. Il faut lire l’Ancien Testament à travers le Nouveau car une des plus grandes pauvretés de Dieu, c’est se faire parole humaine. La Bible est un sacrement ; ce n’est pas un livre, c’est Quelqu’un.

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

La Bible, Sacrement de Jésus

Dieu il faut le craindre

J’ai rencontré à l’École Biblique de Jérusalem un prêtre lorrain, un prêtre lorrain un d’une exceptionnelle compétence, très savant, très ouvert, infiniment libre dans sa pensée, qui me disait en souriant :

« Surtout, si vous venez dans les campagnes lorraines ne prêchez pas votre Dieu, parce que ils n’y comprendront rien. Il faudra leur cuisiner un enfer, qui leur donne une trouille du diable pendant huit jours, et quand ils auront bien tremblé, alors la mission réussira. Si vous leur parlez d’amour, ils n’y comprendront rien, parce que, pour eux, l’amour, ça se passe entre homme et femme. Le Bon Dieu, c’est autre chose ! Le Bon Dieu, il faut le craindre et c’est dans cette crainte qu’est le commencement de la sagesse ! »

Il me disait cela, naturellement, non pas que il ne fût pas profondément convaincu de l’amour et de la tendresse de Dieu, mais il m’avertissait que, pédagogiquement, il y a certaines populations qui ne sont pas encore mûres pour entendre ce message.

Et cela peut être absolument vrai. Pédagogiquement, on peut admettre une autre présentation, à titre provisoire, jusqu’à ce que les âmes soient assez ouvertes pour entendre un message qui s’adresse véritablement à la personne.

Cette pédagogie d’ailleurs est indispensable. Il faut prendre les gens là où ils sont pour les conduire là où ils sont appelés. C’est une question d’adaptation : il faut savoir à quel niveau les gens se trouvent et quel est le langage auquel ils sont ouverts. Et c’est cette pédagogie d’ailleurs que nous voyons appliquée dans l’Écriture sainte.

La pédagogie divine de la Bible

L’Écriture sainte contient des choses qui sont absolument inacceptables pour la conscience chrétienne, c’est-à-dire pour la conscience éclairée par le Christ, par la Croix, par l’Eucharistie, par le Sacré-Cœur.

L’Écriture sainte contient des choses qui sont absolument inacceptables pour la conscience chrétienne, c’est-à-dire pour la conscience éclairée par le Christ, par la Croix, par l’Eucharistie, par le Sacré-Cœur.

Mais ces choses devaient être dites à une certaine époque parce que, pédagogiquement, elles étaient les seules que le peuple pût entendre. Et il faut les lire justement dans cet esprit, les lire en se mettant à l’époque et en comprenant que Dieu parle à un peuple, à un groupe, car la Révélation s’est faite d’abord à un groupe, et non pas à un individu ou du moins à un individu pour le groupe ; Dieu s’adaptant à l’état d’un groupe, la pédagogie divine l’a miséricordieusement obligé, si l’on peut dire, à s’adapter au niveau de ce groupe.

C’est ainsi que, si vous lisez dans le Lévitique ce chapitre effroyable qui est le 26ème chapitre, les bénédictions sont promises d’abord à ceux qui gardent les commandements et les mettent en pratique.

Et voici la série des malédictions :

« Mais si vous ne m’écoutez pas et ne mettez pas en pratique tous ces commandements,

si vous repoussez mes lois, rejetez mes coutumes et rompez mon alliance en ne mettant pas en pratique tous mes commandements,

j’agirai de même, moi aussi, envers vous. Je vous assujettirai, je vous assujettirai au tremblement, ainsi qu’à la consomption et à la fièvre qui use les yeux et épuise le souffle. Vous ferez de vaines semences dont se nourriront vos ennemis.

Je me tournerai contre vous et vous serez battus par vos ennemis. Vos adversaires domineront sur vous et vous fuirez, alors même que personne ne vous poursuivra.

Et si, malgré cela, vous ne m’écoutez point, je continuerai à vous châtier au septuple pour vos péchés.

Je briserai votre orgueilleuse puissance, je vous ferai un ciel de fer et une terre d’airain.

Votre force se consumera vainement, votre terre ne donnera plus ses produits et l’arbre de la campagne ne donnera plus ses fruits.

Si vous vous opposez à moi et ne consentez pas à m’écouter, j’accumulerai sur vous ces plaies au septuple pour vos péchés.

Je lâcherai contre vous les bêtes sauvages qui vous raviront vos enfants, anéantiront votre bétail et vous décimeront au point que vos chemins deviendront déserts.

Et si cela ne vous corrige point et si vous vous opposez toujours à moi,

je m’opposerai moi aussi à vous et, de plus, je vous frapperai, moi, au septuple pour vos péchés.

Je ferai venir contre vous l’épée qui vengera l’Alliance. Vous vous grouperez alors dans vos villes, mais j’enverrai la peste au milieu de vous et vous serez livrés au pouvoir de l’ennemi.

Quand je vous retirerai la baguette de pain, dix femmes pourront vous cuire ce pain dans un seul four, c’est à poids compté qu’elles vous rapporteront ce pain et vous mangerez sans vous rassasier.

Et si, malgré cela, vous ne m’écoutez point et que vous vous opposiez à moi,

je m’opposerai à vous avec fureur, je vous punirai, moi, au septuple pour vos péchés.

Vous mangerez la chair de vos fils et vous mangerez la chair de vos filles.

Je détruirai vos hauts lieux, j’anéantirai vos autels à encens, j’entasserai vos cadavres sur les cadavres de vos idoles et je vous rejetterai.

Je ferai de vos villes une ruine, je dévasterai vos sanctuaires et je ne respirerai plus vos parfums d’apaisement.

C’est moi qui dévasterai le pays et ils en seront stupéfaits, vos ennemis venus l’habiter !

Vous, je vous disperserai parmi les nations, je dégainerai contre vous l’épée pour faire de votre pays une lande et de vos villes une ruine.

C’est alors que le pays acquittera ses sabbats, pendant tous ces jours de désolation, alors que vous serez dans le pays de vos ennemis. » (Lévitique 26 :14-34)

On peut continuer. Voyez ! Le ton de ces malédictions est effroyable et combien peu elles sont en accord avec les promesses du Sacré-Cœur.

Mais si nous lisons le livre des Rois, 1er chapitre, nous lisons ceci :

« Le roi David était un vieillard avancé en âge. On lui mit des couvertures sans qu’il pût se réchauffer. Alors ses serviteurs lui dirent : « Qu’on cherche pour Monseigneur le roi une jeune fille qui assiste le roi et le soigne ! Elle couchera sur son sein et cela tiendra chaud à Monseigneur le roi. » Ayant donc cherché une belle jeune fille dans tout le territoire d’Israël, on trouva Abishag de Shunem et on l’amena au roi… » (1 Rois 1:1-3)

Voilà ! Il est évident que des gens qui pouvaient considérer qu’une jeune fille pouvait servir de couverture à un vieux roi qui n’arrive pas à se réchauffer, ils avaient encore beaucoup de choses à apprendre. Et on comprend que Dieu leur parle sur ce ton, parce qu’ils sont à ce niveau.

Quand vous lisez la Bible, il ne faut jamais vous inquiéter du ton que la voix divine semble prendre à certains moments. Il s’agit uniquement d’une pédagogie… Et ce serait injuste de réduire l’Ancien Testament uniquement à un message de terreur.

Il ne faut donc jamais, que quand vous lisez la Bible, vous inquiéter du ton que la voix divine semble prendre à certains moments. Il s’agit uniquement d’une pédagogie. Il s’agit d’un peuple primitif qui n’est pas capable d’en entendre davantage et qui a besoin d’être conduit par la terreur.

Cela n’exclut pas, d’ailleurs, l’amour à certains moments, comme vous le savez, et ce serait injuste de réduire l’Ancien Testament uniquement à un message de terreur. Mais il reste que il y a des passages, et ils sont nombreux, où justement la vengeance divine prend des formes terrifiantes, et cela est d’autant plus naturel que les Hébreux, comme vous le savez, ne croyaient pas à la vie éternelle.

[Repère enregistrement audio : 9’ 06’’]

Jésus est le véritable sens des Écritures

L’idée tardive de la vie éternelle au sein du peuple juif

Ce n’est que très tard, très tard, et dans les siècles qui précèdent l’avènement de notre Seigneur, que l’idée de la vie éternelle s’est fait jour dans le peuple Juif, dans le livre de Sagesse en particulier. Mais jusque-là, toutes les bénédictions, pour eux, et toutes les malédictions, se réalisaient sur la terre.

La vie d’outre-tombe, s’il y en avait une, c’était quelque chose de tellement misérable pour tout le monde : c’était une vie de larmes, une vie d’ombre, sans lumière, sans espérance et sans religion, puisque le psalmiste dit souvent ou les Psalmistes disent souvent : « Qui vous louera dans le tombeau ? Ceux qui descendent dans le schéol, dans les régions inférieures, sont incapables de vous louer », parce que là cesse toute véritable vie et que Dieu justement n’y reçoit aucun hommage.

Alors, évidemment, ce peuple incertain de la vie après la mort, qu’il fallait maintenir dans une certaine droiture, il fallait à la fois lui promettre des bénédictions sensibles, et dans le domaine le plus immédiatement vérifiable : les récoltes, les moissons, la postérité abondante, les enfants qu’on voit jusqu’à la quatrième génération. Et en même temps les malédictions, il fallait les peindre au minium, dans les couleurs les plus sanglantes, pour qu’ils sachent précisément que s’ils ne marchent pas droit, il y aura des conséquences terribles !

Le jour de la colère de Dieu

Cette pédagogie peut être nécessaire, elle peut être une forme d’amour, mais, bien entendu, ce visage de Dieu, c’est le visage que l’homme lui donne, et le visage que Dieu accepte de prendre pour l’atteindre.

Et c’est pourquoi si, dans le Nouveau Testament, il arrive que notre Seigneur lui-même reprenne ces vues traditionnelles, reprenne la peinture du Jugement et par le soufre et par le feu, il ne faut pas du tout nous en émouvoir, pas plus que je ne m’émeus en lisant à la Messe le « Dies iræ » (1), le « Dies iræ » qui montre le Jugement avec un grand livre et toute cette mise en scène auquel naturellement, je ne crois pas.

Mais ça ne me gêne pas du tout de réciter, ce « Dies iræ » qui est un magnifique poème et qui représente une certaine vision correspondant à une imagerie qui était celle de l’époque où ce poème a été composé.

Notre Seigneur a pu reprendre le « Dies iræ » qui était courant à son époque, sans pour autant le consacrer par sa personne lorsque, dans cette fameuse scène du chapitre 25 de saint Matthieu, notre Seigneur reprend, reprenant le « Dies iræ » montre le juge mettant les brebis d’un côté et les boucs de l’autre et leur disant : « Venez, les bénis de mon Père » (Mat. 25:34) ou « allez, maudits, au feu éternel. » (Mat. 25:41)

C’est l’amour qui vous jugera

Il ne faut pas du tout voir dans cette scène une confirmation littérale des menaces terrifiantes que nous venons de lire et qui, d’ailleurs, étaient dans l’ordre purement temporel. Il faut voir que la pointe de toute cette péricope, de tout ce fragment de saint Matthieu, la pointe n’est pas dans la description du Jugement et des conséquences de ce Jugement, mais la pointe de cette péricope, c’est : « J’ai eu faim, j’ai eu soif, j’étais en prison, j’étais nu, » etc. (Mat. 25:35-36) C’est-à-dire que le Jugement se fera sur l’amour. C’est l’amour qui vous jugera, c’est votre amour qui vous introduira dans la lumière, et c’est votre absence d’amour, votre refus d’aimer qui vous enveloppera de vos propres ténèbres.

Jésus dans l’entre-deux pour atteindre les gens

Il ne faut pas oublier, en effet, que notre Seigneur était, d’une certaine manière, encore dans l’Ancien Testament. Le Nouveau Testament commence à la mort de Jésus. C’est là que la Nouvelle Alliance est scellée dans le sang, c’est là que le voile se déchire, c’est là que commencent les temps nouveaux.

Jusque-là, notre Seigneur est, d’une certaine manière, encore un prophète de l’Ancien Testament et il en reprend parfois le langage et les procédés, parce que, justement, « le temps n’est pas encore venu » (Jn 2:4 ; 7:6 ; 7:8). Il le dit d’ailleurs lui-même formellement : « On ne peut mettre du vin nouveau dans de vieilles outres. » (Mat. 9:17)

Le vin nouveau, il jaillira, il jaillira du mystère de la Pentecôte. C’est dans le feu de l’Esprit que toute vérité deviendra éclatante dans le cœur des Apôtres

Jusque-là, il faut mettre un voile, un voile ou plutôt il faut garder le voile du Saint des Saints qui ne pourra se déchirer que quand tout sera consommé. Et il ne faut pas plus s’étonner que notre Seigneur, à certains moments, parle le langage des Anciens, pas plus s’en étonner que de le voir aller au Temple, aller au Temple, ce Temple qui, bientôt, sera détruit et dont il ne restera pas une pierre sur pierre. Et pourtant, il va au Temple, comme il a été assujetti aux rites juifs dès son enfance.

Il ne rompt pas, il ne rompt pas avec le culte traditionnel, il ne rompt pas avec les jeûnes qui engagent toute la nation. Il vit à la juive, bien qu’il sache que tout cela soit condamné. Et, de même, il peut recourir à certaines descriptions, à certaines traditions parce que elles sont courantes, parce qu’elles forment le trésor commun du langage et que, pour atteindre ces gens, il faut bien les accrocher là où ils sont !

Il a dit assez de choses nouvelles et qui ont assez scandalisé, pour que l’on ne s’étonne pas que, il ait parfois tempéré la nouveauté de son message en se plaçant sur le terrain où se trouvaient ses auditeurs.

Sur le seuil de la Nouvelle Alliance

Dans la scène des vendeurs chassés du Temple…, on sent que l’on est sur le seuil de la Nouvelle Alliance, que Jésus n’y tient plus…, qu’il est tellement, qu’il est infiniment au-delà.

Mais il y a des moments où il n’y tient plus et il suffit de se rappeler la scène des vendeurs chassés du Temple. Qu’est-ce que cela veut dire ? On sent ici, justement, on sent que l’on est sur le seuil de la Nouvelle Alliance, on sent que Jésus n’y tient plus, on sent que s’il accepte tout cela, c’est par amour, c’est par miséricorde, par adaptation, mais que il est tellement, qu’il est infiniment au-delà.

C’est lui qui annoncera à la Samaritaine que le véritable sanctuaire est au-dedans d’elle-même. Alors, quand il voit que le Temple, que les parvis du Temple sont les lieux du négoce et du change, quand il entend ces troupeaux bêlants, quand il entend les cris des changeurs, alors il n’en peut plus…

Que Dieu ait accepté ces sacrifices sanglants, ait accepté ces rites barbares et sauvages, que Dieu ait accepté toute cette boucherie répugnante et ce sang dont on oignait les cornes de l’autel, par miséricorde, parce que ce geste pouvait, s’il était rempli de piété, il pouvait signifier qu’on reconnaissait en lui le maître de toutes choses : c’était déjà un pas vers la connaissance et vers l’amour de lui. Mais quand il n’y a plus que le rite sans intention, quand il n’y a plus que le rite sans âme, alors Jésus n’y tient plus.

C’est comme si Dieu était déshonoré et bafoué dans sa propre maison. Alors il s’arme justement de ce fouet, dont il ne va pas se servir, la menace suffit et son autorité. Il va dissiper toutes ces criailleries et faire le silence dans les parvis de la maison de Dieu, pour qu’on apprenne que ces rites ne signifient rien s’ils ne sont pas parcourus par le souffle de l’Esprit et de l’amour. « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas encore les porter. » (Jn. 16:12)

[Repère enregistrement audio : 18’ 26’’]

L’âme sait que le vrai Dieu est tout Amour

Les textes sont à lire avec le regard intérieur qui cherche l’amour

Nous ne serons donc pas étonnés de voir dans l’Évangile, à côté des nouveautés les plus révolutionnaires et qui demeurent à jamais, certaines adaptations qui s’adressent aux auditeurs et qui ne valent que pour un temps, comme la parole qui serait scandaleuse si on la prenait à la lettre : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ! » (Mat. 15:24).

Il va de soi que cette parole signifie que, durant sa mission terrestre, c’est à cela que il avait à se limiter, il fallait d’abord qu’il tente d’accrocher le peuple qui se prétendait le dépositaire de toutes les vérités. Il voulait le faire entrer dans ce mouvement missionnaire pour le salut du monde entier, et c’est quand le refus de ce peuple aurait été dûment établi, que la Parole serait portée aux nations.

Mais, bien entendu, le Christ dans cette parole, n’exclut pas tous les peuples de la terre, puisqu’il est venu expressément pour eux et que le dernier mot par où il donne à ses apôtres leur mission est de les envoyer précisément faire disciples toutes les nations.

Lisons avec ce regard intérieur, en y cherchant partout l’amour de Dieu qui passe dans les textes de l’Ancien Testament, parce qu’il est un mouvement lent qui monte vers Jésus.

Lisons donc les textes avec ce regard intérieur, en y cherchant partout l’amour de Dieu qui passe dans les textes de l’Ancien Testament, parce que l’Ancien Testament c’est un mouvement qui monte vers Jésus. Il monte lentement, lentement, à travers bien des hésitations, bien des reculs, mais il monte, il monte. Et c’est là son sens : c’est de conduire à Jésus.

Dieu s’est fait parole humaine

En Jésus, tout cela est dépassé. C’est pourquoi il ne faut jamais lire l’Ancien Testament qu’à travers le Nouveau. C’est à travers le cœur du Seigneur qu’il faut lire tout cela en comprenant, comme on l’a dit magnifiquement que « une des plus grandes pauvretés de Dieu, c’est d’avoir accepté de se faire parole humaine. »

Il a accepté de se faire parole humaine. Il a accepté ces caricatures de lui qui sont indignes de lui mais qui étaient nécessaires à une humanité primitive et barbare, qu’il fallait soulever au-dessus de sa misère et de son fumier et qu’il fallait prendre exactement là où elle était.

De la nuit mystique à la lumière où l’âme se repose

D’ailleurs, saint Jean de la Croix nous donne l’exégèse de cette situation et de la manière la plus claire et la plus profonde. Et que saint Jean de la Croix, qui est un immense poète, un immense poète, un des plus grands poètes de tous les temps et la gloire de la littérature espagnole, vous savez que saint Jean de la Croix lorsque il étudie les nuits mystiques, ces nuits terribles qui constituent une espèce d’enfer pour certains mystiques – pas tous, heureusement – mais certains mystiques passent par cette sorte d’enfer qui est un tunnel si obscur, si douloureux qu’ils ont l’impression, dit saint Jean de la Croix, que Dieu s’acharne, s’acharne contre eux avec une espèce d’inimitié implacable. Ils ont l’impression, en bref, que Dieu est devenu leur ennemi. Ils ont l’impression qu’ils sont devenus, eux aussi, les ennemis de Dieu, que plus jamais ils ne pourront le joindre, qu’ils sont comme séparés définitivement de lui et leur condition est si misérable, dans cet état, dit saint Jean de la Croix, que ils ne peuvent recevoir aucune consolation. C’est peine perdue que de vouloir ranimer leur espérance, parce que ils ont toujours l’impression, dans cette sorte de scrupule invincible, qu’on ne les comprend pas ou qu’on ne les comprend qu’à moitié et que personne n’est en état de partager et de mesurer l’immensité de leur douleur.

Mais un jour viendra justement où les purifications auxquelles ils sont soumis dans ce tunnel, un jour viendra où « le jour se lèvera ». Ils sortiront du tunnel, ils déboucheront en pleine lumière et, dans cette lumière, ils retrouveront – ou plutôt ils trouveront – ils découvriront le vrai visage de Dieu. Et ils le verront comme un visage d’amour, ils le verront comme un visage nuptial, ils le verront comme un visage tout de tendresse et ils entreront justement dans ce que les mystiques appellent les fiançailles spirituelles et ils s’avanceront jusqu’à ce mariage d’amour où tout est consommé, où la crainte est bannie, où, désormais, l’âme se repose dans la lumière et où la vie n’est plus qu’un échange de personne à Personne, dans cette sorte de Cantique des Cantiques qui est le terme de la plus haute sainteté.

Tout ce qui n’est pas le visage d’amour n’est que le reflet de nos imperfections

L’âme sait que le vrai Dieu est tout amour…, qui n’a qu’un seul visage qui est celui du terme, qui est celui de l’aube pascale – et que tout le reste, tout ce qu’on trouve dans la Bible…, tout ce qui n’est pas ce visage est simplement le reflet de nos imperfections et de la miséricorde de Dieu qui s’adapte à elles.

Et c’est alors que l’âme, en se retournant vers son histoire, en essayant de survoler son passé se demandera comment elle a pu, dans ce tunnel, donner à Dieu ce visage d’ennemi, ce visage menaçant, ce visage hostile qui la crucifiait.

Comment a-t-elle pu lui donner ce visage, puisque le visage qu’elle découvre maintenant, dans la pleine lumière, est un visage où il n’y a que la bonté et l’amour ? C’est, dit saint Jean de la Croix, qu’elle-même – c’est ce qu’elle comprend dans la lumière – c’est qu’elle même dans la nuit où elle était, dans la nuit d’elle-même où elle se débattait, justement encore tout emberlificotée dans ses imperfections, tout empelotonnée dans sa chrysalide qui s’interposait entre elle et la lumière, elle projetait sur Dieu son propre état, ses propres limites. Elle donnait à Dieu son propre visage, elle faisait de Dieu l’inventeur de sa misère, alors que sa misère venait d’elle-même. Maintenant qu’elle est sortie de ce tunnel, c’est fini. Elle sait que le vrai Dieu est tout amour, qu’il n’y a rien d’autre en lui que ce visage nuptial, que ce visage de mère, qui n’a qu’un seul visage qui est celui du terme, qui est celui de l’aube pascale – et que tout le reste, tout ce qu’on trouve dans la Bible, dans l’Évangile, dans les Épîtres, dans l’Apocalypse, tout ce qui n’est pas ce visage est simplement le reflet de nos imperfections et de la miséricorde de Dieu qui s’adapte à elles.

[Repère enregistrement audio : 26’ 24’’]

La Bible est un sacrement ; ce n’est pas un livre, c’est Quelqu’un

Repenser le catéchisme dans cette lumière d’un amour maternel de Dieu

Alors, ne disons jamais, ne disons jamais aux enfants que Dieu est ce Dieu du 26ème chapitre du Lévitique. Commençons par le visage, le visage du Nouveau Testament et, à travers ce visage, une fois que nous aurons essayé de l’imprimer dans leur cœur, quand ils seront bien sûrs que ils vont vers un amour infiniment plus maternel que celui de la plus tendre des mères, alors on pourra leur raconter comment, dans l’Ancien Testament, aux différentes époques, on se représentait Dieu, où l’on avait une telle peur de lui que, au pied du Sinaï, le peuple disait : « Surtout, que Dieu ne nous parle pas, que Dieu ne nous parle pas ! Que Moïse nous parle, mais pas Dieu, parce que si Dieu nous parle, nous mourrons ! » (Ex 20:19). Comme le prophète Isaïe, lorsqu’il entre dans sa vision inaugurale, a le sentiment que, il va mourir, parce qu’il est indigne de se trouver en face de Dieu.

Il faut donc repenser tout le catéchisme dans cette lumière. Il ne faut jamais laisser croire aux enfants que le stade primitif que représente la Genèse – c’est-à-dire le premier livre de la Bible et tous ceux qui le suivent – que ce premier stade primitif correspond à la vérité définitive. C’était une première approche, qui était vraie dans la mesure où elle était un mouvement vers Dieu, qui est fausse si on la boucle sur elle-même.

Du jardin d’Éden à celui de Gethsémani

Si vous représentez l’histoire du péché originel à des enfants sous l’aspect d’un maître qui a défendu l’accès à son beau jardin, vous ne tenez pas compte, si vous vous bornez à cela, de l’autre jardin qui est le jardin de l’agonie… Car c’est dans ce jardin de l’agonie que nous apprenons ce que signifie le premier jardin.

Il est clair que, si vous représentez l’histoire du péché originel à des enfants sous l’aspect d’un maître qui a défendu l’entrée ou plutôt l’accès dans son beau jardin, l’accès aux plus beaux arbres qui sont l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal, parce que il est le maître et qu’il a le droit de mettre le bonheur à ses propres conditions, si vous leur racontez cette histoire de cette manière, en concluant que c’est parce qu’Adam et Ève ont touché à ce fruit défendu, qu’ils ont été frappés et nous avec eux, vous ne tenez pas compte, si vous vous bornez à cela, de l’autre jardin qui est le jardin de l’agonie, car, finalement, c’est dans ce jardin de l’agonie que nous apprenons ce que signifie le premier jardin.

Dans cet abandon de notre Seigneur, dans cette solitude infinie où se révèle en plénitude l’amour infini de Dieu, nous comprenons que le mot de Pascal, le mot de Pascal disant : « Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là » (Pensées), ce mot, il faut le reporter jusqu’aux origines du monde : c’est dès le commencement, comme dit l’Apocalypse, dès le commencement du monde que l’agneau est immolé, c’est dès le commencement du monde que Jésus est en agonie parce que justement le péché c’est d’abord, c’est essentiellement, c’est uniquement un refus d’amour.

Dieu n’a pas voulu, il n’a pas voulu éprouver l’homme pour lui faire sentir sa puissance. Il a offert à l’homme ses fiançailles. Il a offert à l’homme ce mariage d’amour qu’il ne cesse d’offrir à travers tous les siècles, et le premier péché a été le premier jugement de Dieu par l’homme, le premier refus, la première condamnation, la première crucifixion, et ce qu’il faut retenir justement de ce premier chapitre de la Genèse, dans la lumière du second jardin qu’est le jardin de l’agonie, c’est ce cri de l’innocence de Dieu qui traverse toute la Bible, qui retentit sur le calvaire et qui sera entendu jusqu’à la fin des siècles, ce cri de l’innocence de Dieu.

Ce n’est pas Dieu qui a inventé la mort, ce n’est pas Dieu qui a inventé la souffrance, ce n’est pas Dieu qui a inventé la douleur, ce n’est pas Dieu qui a inventé le mal : tout cela est venu malgré lui et il en est victime, comme l’agneau immolé dès le commencement du monde.

Dans la lumière christique relire la Bible

C’est dans cette lumière christique qu’il est absolument nécessaire de relire la Bible. D’ailleurs, la Bible est un sacrement, comme nous aurons l’occasion de le préciser. La Bible est un sacrement. Ce n’est pas un livre, c’est Quelqu’un, c’est quelqu’un. Et l’Imitation le dit d’une manière admirable lorsque, elle parle du banquet eucharistique et du banquet des écritures car, dans l’un et l’autre, on reçoit et on se nourrit de la parole éternelle de Dieu. Dans l’un et l’autre banquet, on reçoit le Verbe de Dieu qui est Jésus. Le véritable sens des Écritures, c’est Jésus. Et ce Livre est une Personne, et il faut le lire comme la confidence, comme la confidence d’une mère qui raconte comment elle s’est adaptée à des barbares, à des sauvages, à des primitifs, comment elle s’est adaptée à des progressants, qui allaient plus loin, à des êtres qui commençaient à aimer, qui allaient encore plus loin, jusqu’à ce qu’enfin éclate la pleine lumière, le plein midi de la vérité dans l’humanité de notre Seigneur.

Et d’ailleurs, nous en avons le sentiment très net quand nous lisons à la messe ces beaux textes enchâssés dans la liturgie, ces textes qui peuvent être pris n’importe où, n’importe où…

Jamais la Bible n’est aussi belle que dans la liturgie

Nous ne les lisons pas dans le sens littéral, nous les lisons dans le sens christique. Il y a un texte admirable pour la fête du précieux sang de notre Seigneur et qui dit : « Pourquoi tes vêtements sont-ils rouges comme le vêtement de celui qui foule le vin dans le pressoir ? » (Is. 63, 2). Cette image, quand vous la lisez dans le bréviaire ou dans la liturgie est une chose magnifique qui vous fait immédiatement penser à la tendresse infinie de l’agneau immolé.

Quand vous lisez le texte dans Isaïe, il s’agit de la cuve de la colère de Dieu justement, où les êtres sont piétinés et leur sang jaillit, jaillit de la cuve, comme le sang de la grappe sous les pieds de celui qui presse la vendange. C’est tout autre chose. Mais l’Église, très justement, a gardé la première image, l’a enchâssée dans le mystère de Jésus, parce que son véritable sens, finalement, comme le sens de tout, c’est Jésus. Et jamais, d’ailleurs, la Bible n’est aussi belle que dans la liturgie.

On est parfois choqué en lisant le texte de la Bible, au premier moment. On peut être choqué, tant qu’on ne pense pas qu’il s’agit de pédagogie et d’adaptation, de miséricorde et de pauvreté, puisque Dieu s’est fait parole humaine. Mais, dans la liturgie de la messe, on n’est jamais gêné, c’est parce que tous ces textes sont enchâssés dans le mystère de Jésus et deviennent vivants dans cette lumière. Alors, tout s’anime de sa Présence et bat aux battements de son cœur.

Et c’est bien cela : en chaque mot de la Bible, il y a les battements de son cœur. Et, quand on la lit dans cet esprit, on ne voit que son visage et on n’est sensible qu’à son amour.

Le vrai visage de Dieu vous le trouverez dans la lumière pascale, dans le silence de l’adoration, en écoutant en vous cette musique… que perçoit celui qui ne fait plus de bruit avec lui-même.

Mais, justement parce que tout le monde n’est pas, n’a pas été introduit dans la confidence, il ne faut pas non plus prodiguer ces textes devant tout le monde et chacun. Et lorsque l’on enseigne le catéchisme, il faut ne jamais donner cette vision de Dieu comme la dernière. C’est le fait d’une vision de Dieu d’une certaine époque, mais le vrai visage de Dieu vous le trouverez précisément dans la lumière pascale, vous le trouverez dans le silence de l’adoration, vous le trouverez en écoutant en vous cette musique dont l’Écriture nous dit magnifiquement, sachant que on ne peut entendre la vraie parole de Dieu qu’en étant enraciné dans son intimité et en étant accordé aux battements de son cœur, alors on entend cette musique que perçoit celui qui ne fait plus de bruit avec lui-même et à propos de laquelle l’Écriture nous dit : « N’empêchez pas la musique… » (2)


Commentaire : L’injonction finale de Zundel dans sa conférence rejoint cette prière du poète indien Tagore : « Seigneur, aide-moi à faire de ma vie une chose simple et droite, pareille à la flûte de roseau et son souffle de musique dont tu inspires mon âme. »

(1) Note. « Dies iræ » Jour de colère en latin. Poème sur le thème de la colère de Dieu au jour du Jugement Dernier de l’époque médiévale. L’inspiration est apocalyptique dans le cadre d’une prédication de la crainte.

(2) Référence possible à Siracide 32:3 (ou livre de la Sagesse, Ecclésiastique) latin : « Non impedias musicam » « Parle, vieillard, car cela te convient, mais avec justesse et doctrine, et sans empêcher la musique. Lorsqu’on écoute la musique, ne prodigue pas les paroles, et n’étale pas ta sagesse à contre-temps. » Devise de Paul Claudel.

(*) TRCUSLivre « Je parlerai à ton coeur »

Retraite à des franciscaines au Liban en 1959

Publié par Anne Sigier, Sillery, septembre 2001, 327 pages

ISBN : 2-89129-147-6